Quel paysage pour demain ?
Il semble là depuis toujours, comme un cadeau de la nature. Pourtant, le paysage n’est pas un don. Au contraire, c’est le fruit d’un long apprivoisement réciproque pour parvenir à cette image équilibrée du monde, où tout semble à sa place, sinon dans le luxe, au moins dans le calme et la volupté. Le paysage est donc une construction culturelle et, comme tout patrimoine, il est fragile. À l’image d’un grand et beau jardin dont nous sommes tous les jardiniers, il doit être entretenu avec tact pour ne pas succomber à l’usure du temps.
La vallée de Montluçon et du Cher possède des unités paysagères d’une richesse exceptionnelle, à la fois par leur biodiversité, leur rôle dans la régulation des cours d’eau et l’agrément qu’il y a à les parcourir ou les contempler. Au sud, la Combraille vient échouer les derniers contreforts du Massif central sur la plaine alluviale du Cher et les reliefs plus doux du bocage. Très irrigué, c’est un paysage de moyenne montagne incisé par des gorges, alternant forêts et terres agricoles vouées à l’élevage. Plus au nord, le bocage découpe le paysage en une multitude de parcelles séparées par des haies – les aux essences variées, souvent arborées, qui cachent et ombragent le chemin creux des accès. Ce paysage entièrement dessiné par les hommes à partir du XVIe siècle, d’abord par des haies d’abord « sèches », composées de végétaux tressés et de fagots, puis « vives », plantées, est typique de l’élevage – la limousine bien avant le charolais – et du système de métayage, qui multiplie les parcelles et disperse des exploitations de petite taille, les « locateries ». Au XXe siècle, la déprise agricole, la mécanisation, l’urbanisation, l’élargissement des routes et les remembrements pour des exploitations toujours plus grandes et rationnelles ont détruit 70% du bocage, dont on redécouvre aujourd’hui le rôle majeur, bien au-delà de la carte postale : les haies fixent les sols dont ils ralentissent l’érosion, freinent l’écoulement des eaux pour limiter à la fois l’impact de la sécheresse, des crues et même la pollution des rivières, et forment un gîte remarquable pour une faune et une flore des plus diversifiées : aubépine, érable champêtre, noisetier dans les bouchures, silaus des prés ou Œnanthe à feuilles de peucédan dans les prairies, grande sauterelle verte, papillons gazé, myrtil… sans oublier les oiseaux qui s’en nourrissent, les petits mammifères et les amphibiens terrestres.
Partout sur ce territoire, l’eau est omniprésente sous les formes les plus diverses : vive ou dormante, affleurant aux sources ou les dernières prairies humides de plaine, sauvage ou domptée par une multitude de retenues, de canaux et de biefs abreuvant des étangs et des mares, refuges indispensables d’une flore devenue rare (potamot flottant, callitriches, renoncules aquatiques…), de plus d’une dizaine d’espèces de libellules et d’amphibiens menacés, à l’image du sonneur à ventre jeune ou du triton crêté ou palmé… Comme les haies, nombre de ces mares abreuvoirs ont disparu ces dernières décennies, asphyxiées par les algues, comblées par les sédiments, ou effacées par les pratiques agricoles. Nos hautes forêts si paisibles, que l’on ressent primaires, c’est-à-dire antérieures à toute humanité, sont vieilles de trois ou quatre siècles au mieux. Ce sont des « usines vertes », rigoureusement organisées et entretenues depuis la réformation de Colbert au XVIIe siècle pour alimenter les chantiers de la marine de guerre, puis les forges préindustrielles. Avant la gestion en futaie ne poussaient que de mauvais bois, tout juste bons à alimenter les cheminées et mener glander le bétail, comme en témoigne les rapports de l’époque : des arbres étêtés, ébranchés sur le retour, la plupart morts, pourris et atteints du feu, d’autres abattus et gisant par terre. Ainsi était Tronçais au XVIe siècle, bien loin de son image de forêt ancestrale. Les chênes centenaires au fût si droit qui font aujourd’hui l’exception de Tronçais, « plus belle chênaie d’Europe », ne le doivent qu’aux bons soins des forestiers.
Le paysage de la vallée, ce sont enfin de nombreuses formes architecturales, héritées des différentes périodes de l’histoire : des premiers temps de l’ère chrétienne aux riches heures des Bourbon jusqu’aux siècles du charbon et de l’industrie. Là encore, ce patrimoine a subi, ici la déprise agricole et le réensauvagement, là, la crise industrielle et la pression foncière, pour tomber parfois dans les ruines de l’oubli. Avec l’eau courante et les machines à laver, on n’a pas toujours vu par exemple l’intérêt d’entretenir ou même de conserver les fontaines et lavoirs, pas plus qu’on n’a compris, une fois déclassé, l’avantage qu’il y avait à maintenir le canal de Berry et son port, seule « note amusante », selon Pierre Pradel en 1938, de la « monotonie enfumée » du Montluçon industriel, « qui traine de longs chalands à la poupe colorée, et dont l’eau glauque reflète les silhouettes cocasses des fours à chaux ». Une fois l’usage perdu, l’édifice devient patrimoine ou s’efface.
Le paysage n’est donc pas figé : il évolue en permanence avec les pratiques et notre rapport à la terre, à l’espace, à la nature et au lieu. Il se transforme et parfois se déforme, y compris par défaut. On peut juger, par exemple, que les publicités des bords des routes, telle zone commerciale ou ce champ d’éoliennes, enlaidissent le paysage. Le problème est esthétique, mais pas seulement : il interroge l’économie et l’attraction touristique, l’écologie à travers l’appauvrissement des espèces, l’imperméabilisation des sols, la mémoire et l’identité, le bien-être au quotidien et même, par l’ampleur des transformations, le devenir de l’homme. La prise en compte du paysage dans sa globalité est donc pour le territoire un enjeu majeur qui nous concerne tous. C’est la raison pour laquelle le Pôle d’équilibre territorial et rural engage sur le Pays de la vallée de Montluçon et du Cher une démarche de « plan paysage », c’est-à-dire à la fois de diagnostic, de sensibilisation et d’aide à la décision pour un développement plus harmonieux et plus « durable ». 40 communes appartenant aux 5 communautés de communes ou d’agglomération du Pays sont concernées par ce plan qui place l’éco-mobilité au cœur du projet. Comme le paysage est l’affaire de tous, le PETR a lancé une consultation de tous les habitants, accessible jusqu’au 9 avril sous ce lien :
Questionnaire en ligne
Et retrouvez d’autres informations sur ce Plan Paysage sous le lien suivant :
Plan Paysage ‘Vallée du Cher et de la Combraille Bourbonnaise’
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